Mathilde est arrivée dimanche soir à Valence avec Benjamin. Ils ont passé une partie de la soirée à regarder les rushs du dernier tournage. Tout n’était pas mauvais. En tout cas, il y avait suffisamment de plans réussis pour arriver à faire un montage de cinq minutes comme souhaité par le client. Pour le reste de la soirée, ils se sont occupés de préparer le matériel pour le lendemain. Durant le week-end, Mathilde avait envoyé à Benjamin la liste de ce qu’il devait amener. Il n’avait rien oublié, mis à part de charger les batteries, encore une fois. La nuit leur permettrait d’être pleinement opérationnel pour le lendemain. Camille n’avait pas pu venir sur ce tournage. C’était plutôt une bonne chose, Mathilde n’aurait pas un énième épisode de leur histoire à gérer. Elle se chargera donc de la prise de son. Elle lui avait emprunté un micro-cravate et un enregistreur. Aujourd’hui, Benjamin et Mathilde ont juste quelques interviews à faire ainsi que des plans séquences.
Ce matin, ils ont rendez-vous avec le chargé de communication de l’office de tourisme. Plusieurs rencontres avec des habitants sont prévus. Le chargé de communication doit aussi leur indiquer les plans d’illustration qu’il souhaite. La météo semble bonne pour toute la journée. Il faudra les tourner entre midi et deux, là où la lumière est la plus éclatante. Le chargé de communication organise avec eux le planning des interviews. La ville est petite, ils ne perdront pas de temps dans les déplacements. Si tout se passe bien, ça devrait être bouclé en fin d’après-midi. Benjamin regarde sur son smartphone les horaires de train pour pouvoir rentrer ce soir.
Il est hors de question que tu retournes sur Paris juste après le tournage. Ta chambre est réservée pour deux nuits. Nous ferons le double back-up et nous commencerons à monter l’ours.
Benjamin lui répond qu’il fera ça dans le train, qu’il n’y a pas besoin d’être deux.
Tu veux que je te rappelle le tournage à Lille et l’argent que j’ai perdu ? On s’est mis d’accord pour deux jours d’intermittence. Tu restes les deux jours.
La première personne qu’ils doivent rencontrer a été difficile à convaincre. Cette agent de service dans un établissement scolaire écrit sur un blog des chroniques policières humoristiques à partir de fait divers ayant eu lieu à Valence. Lorsque le chargé de communication lui a demandé de participer à ce reportage, elle lui avait répondu qu’elle ne supportait pas qu’on le prenne en photo et qu’elle n’avait absolument pas envie d’être filmé. En lisant son blog, Mathilde la voulait absolument. Elle l’avait eu plusieurs fois au téléphone. Elles avaient convenu que seule sa voix serait enregistrée. Mathilde était sûre que Benjamin arriverait quand même à capturer des images qui plairaient à cette originale blogueuse.
Benjamin, vexé par leur échange, laisse Mathilde se débrouiller avec cette première interview et part s’asseoir dans un coin pour se rouler une cigarette. Mathilde est exaspérée par cette attitude d’enfant gaté. Tant pis, elle n’aura que le son de l’interview. Elle trouvera bien une idée pour les images.
Pendant qu’elle interroge cette première habitante, Mathilde voit Benjamin se balader avec sa caméra autour d’elles. Elle ne supporte pas de le voir faire les cent pas pendant qu’elle bosse. L’entretien terminé, Benjamin arrive d’un pas nonchalant. Mathilde le présente rapidement à la surprenante blogueuse, explique que l’hôtel est peu confortable et que la nuit n’a pas été très bonne pour lui. Benjamin se contente de dire :
— Je peux vous monter quelque chose ?
L’auteure policier visionne à travers l’écran de contrôle quelques plans tournés pendant son interview. Mathilde entrevoit dans son sourire ému la possibilité d’utiliser ces images pour le reportage. Ils conviennent de lui envoyer une première version du montage de sa séquence avant qu’elle ne donne son autorisation pour apparaître à l’écran.
En fin de journée, Mathilde et Benjamin vont s’installer à une terrasse. Les palmiers de la place donnent plus envie de lézarder que de parler boulot. Mathilde est satisfaite de leur journée malgré le démarrage sous la mauvaise humeur de Benjamin. Comme à chaque fois qu’on lui fait une remarque sur son attitude, Benjamin est piqué. Il a l’impression qu’on le prend toujours pour un stagiaire. Il ne comprend pas pourquoi Mathilde ne lui fait pas plus confiance. Il monte des dizaines de films pour d’autres boites de production et personne n’est sur ses baskets pour vérifier ce qu’il fait. Mathilde lui rappelle justement qu’il s’est aussi fait virer de dizaines de boites pour des disques durs grillés sans sauvegarde de secours ou pour des images inexploitables car il n’a pas respecté les consignes de réalisation.
Si je suis si mauvais que ça, pourquoi tu me gardes ? Pour faire chier Camille ?
Benjamin et Camille s’était rencontrés grâce à Mathilde. Mathilde leur a confié à peu près à la même période leur premier job. Pas facile lorsqu’on sort de l’école de se faire une place dans le métier. Mathilde venait de créer sa boite de production. Il lui tenait à cœur de donner sa chance aux jeunes diplômés. Sur ses premiers contrats, elle les avait fait travailler en binôme avec des techniciens plus expérimentés.
Après une rupture amoureuse, Camille était allée vivre quelques temps chez Benjamin en dépannage. Le dépannage a duré un peu plus d’un an, jusqu’à ce que Benjamin ait à son tour une relation presque stable. L’un et l’autre avait beau dire qu’il n’y avait rien entre eux, leur relation s’était dégradée exactement au même moment. Mathilde n’avait jamais réussi à savoir ce qui s’était réellement passé pour en arriver à ne plus se supporter au travail.
Benjamin, je te garde pour ce que tu as fait aujourd’hui ! Filmer quelqu’un qui n’a pas envie est une prouesse !
Benjamin lui a promis qu’il allait essayer de faire des efforts pour ne plus être aussi désordonné avec son matériel. Mathilde lui a promis qu’elle allait essayer de lui faire davantage confiance.
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