/* Pinterest */ A côté de soi - chapitre 14 - Anne-Lise Bouchut

A côté de soi – chapitre 14

Juil 20, 2023

  • Et maintenant on fait quoi ?
  • Je sais pas… peut-être qu’on peut trouver un endroit où prendre tranquillement un café ? rétorque ironiquement Mathilde.
  • Tu crois vraiment que c’est le moment de plaisanter ? dit d’un ton de maître d’école Romain
  • À peu près autant que c’était le moment de faire un pique-nique. Tiens les clés, je déteste faire le plein.

Mathilde lui balance le trousseau

  • Ma femme non plus. Merde ! Qu’est-ce que je vais lui dire ? réalise Romain
  • Si elle t’attend pour dîner, elle doit être particulièrement énervée.

Mathilde tente de se calmer en faisant les cent pas à travers la station essence.

  • Attends, je vérifie son agenda. C’est bon, elle est en déplacement et les filles sont chez leurs grands-parents.
  • Génial ! On fait quoi maintenant ? lui crie-t-elle alors qu’elle est à moins de 5 mètres de lui.
  • Comme tu veux, répond calment Romain qui vérifie ses mails en attendant que le plein soit terminé.
  • Tu te fous souvent des gens comme ça ou c’est spécialement pour moi ? demande Mathilde avec une colère contenue
  • C’est facile de critiquer ! répond Romain. Si tu crois que c’est tous les jours que je me retrouve dans ce type de situation.
  • Tu as raison ! Moi c’est assez fréquent que je sois complice de vol. Il est donc tout à fait normal que tu penses que je sais ce qu’on va faire maintenant ! Mais qu’est-ce qui t’a pris de faire ça ? hurle-t-elle en s’approchant de lui prête à lui mettre une grande gifle.

Son geste est alors retenu par l’arrivée d’une seconde voiture. Romain et Mathilde saluent d’un hochement de tête les passagers et remontent l’un et l’autre rapidement dans le véhicule. Sur le siège passager, Mathilde croise les bras pour essayer de se calmer. Romain décide d’aller vers le centre-ville à la recherche d’un hôtel où passer la nuit. Sa conduite est déterminée, comme s’il connaissait déjà la région. Il allume la radio et se met à siffloter. Mathilde se ronge les ongles en attendant la fin du morceau. Il est bientôt 23 h. Un flash info devrait être diffusé avec en information principale leur vol. Elle s’étonne de ne pas être encore en prison. Leur portrait doit défiler en boucle sur toutes les chaînes de télévision. Les journalistes sont sûrement déjà en train d’interroger Thibault. Si ça se trouve, il est passé à la télévision, les yeux larmoyants, en lançant un message à Mathilde pour lui demander de se rendre. Elle allait être grillée dans tout le milieu de la production. Comment accepter de financer un documentaire d’une réalisatrice voleuse ?  Elle pouvait dire adieu à ce projet. Ce n’est pas d’une cellule sordide qu’elle pourrait organiser le tournage et faire le montage. Ils ne devraient pas tarder à être arrêtés. Pénélope et Robert appelleront la police. Des caméras de surveillance de la station essence avaient dû les repérer.

 Romain le coude sur la portière ne peut s’empêcher de tourner en boucle ce qui s’est passé. Il a déjà joué plusieurs fois avec la loi. Son passé de délinquant a commencé un mardi midi, vers 1985, en rentrant de l’école. Il avait aidé un copain à voler deux fraises tagada. Puis ça a continué quelques années plus tard, en cours de latin, lors d’un devoir surveillé : il avait mis son cahier sur ses genoux pour recopier les déclinaisons de rosas. Ni vu ni connu, il ressortit indemne de ce méfait. Il ne pense pas avoir spécialement de la chance dans la vie. Pourtant, il se félicite de s’en être très bien tiré à chaque fois. Et puis à chaque fois qu’il se gare sans payer, il s’en sort sain et sauf. Enfin là, il se demande bien comment il est raisonnablement possible de ne pas s’être encore fait arrêter. Lorsqu’il a regardé son portable tout à l’heure, il n’a vu aucune notification lui indiquant ce qui s’était passé au Musée des Beaux-Arts. Peu à peu, un sentiment de confiance l’envahit. Il ne sait pas pourquoi ni comment cette histoire va se terminer. Mais, il a comme l’intuition que tout ira bien. Il jette un œil à Mathilde. Figée comme une statue égyptienne, il a l’impression que ce n’est pas vraiment le moment de partager avec elle sur ses pressentiments. Il a même l’intuition que s’il dit un mot, il va augmenter ses chances de se prendre une claque.

Romain se gare sur le parking du premier hôtel venu. Mathilde sort de la voiture en claquant la portière. À l’accueil, derrière le comptoir, un type d’une quarantaine d’années est planté devant sa télé. Un vrombissement de voitures s’en échappe. Il est absorbé par un grand prix automobile. Romain le salue. Il répond sans lever la tête. Romain patiente. Pour s’occuper, il regarde les articles de presse encadrés au mur : tous ne parlent que du grand Prix de Monaco. En jetant un coup d’œil juste à droite de l’accueil, il aperçoit une voiture de course installée dans la salle du petit-déjeuner. Mathilde tourne dans le hall comme un lion en cage. Romain reste stoïque. Au bout de quelques instants, l’homme vêtu d’une combinaison de pilote automobile daigne se lever. Il s’excuse de les avoir fait patienter. Il était en train de regarder l’arrivée du grand prix monégasque de 1992. Une merveille ! Il finit par leur demander en quoi il peut leur être utile. Romain demande s’il a deux chambres disponibles. Malheureusement, son hôtel est occupé par les invités d’un mariage. Il peut leur proposer seulement une chambre avec un lit double. Romain se tourne vers Mathilde pour tenter de savoir ce qu’elle en pense. La colère ne semble pas redescendue. Il ne juge pas utile d’essayer d’engager une conversation maintenant. Le risque serait trop grand qu’elle explose en public. Romain n’a jamais aimé se donner en spectacle. Il sait qu’il devra affronter une explication musclée aussitôt la porte de la chambre fermée. Finalement, c’est pour tapage nocturne qu’il risque de finir la nuit au poste de police. Il prend le risque et accepte la chambre avec lit double. De toute façon, il est bien trop tard, et ils sont bien trop fatigués pour poursuivre leur route. Et puis, où aller ? Comme aimait le répéter sa grand-mère avant d’aller se coucher, la nuit porte conseil.

Romain prend la clé et se dirige vers l’ascenseur. Mathilde le suit. Elle entre la première et lui tourne le dos. Elle appuie frénétiquement sur le bouton de fermeture des portes. En ouvrant la porte, ils découvrent une chambre en cohérence avec la décoration du hall : un lit en forme de voiture comme ceux qu’on peut voir dans les magazines de décoration pour enfants, des abat-jours avec du tissu en damier, et au-dessus, un portrait. Assez grand. Une photo officielle. La photo officielle : le Prince de Monaco. Pas Albert, son père. Et sur les tables de chevet, Romain trouve des photos de famille en noir et blanc. À droite du lit, Grâce et ses enfants assis dans un jardin et à gauche le Prince Rainier remettant une coupe à un des vainqueurs. Mathilde balance sur sac sur le lit et va dans la salle de bain. Aussitôt, elle ressort en regardant Romain d’un air le plus austère possible. Elle sait qu’elle n’est pas très bonne comédienne et que ses yeux sont en train de trahir son envie d’exploser de rire. Elle lui tend un rouleau de papier toilette avec les insignes de Monaco imprimées dessus. Mathilde se met à s’agiter dans la chambre et à soulever tous les cadres.

  • OK, c’est bon ! Je vais trouver où elles sont ! On est dans une caméra cachée ! Avoue !
  • Calme-toi Mathilde ! Je ne veux pas mourir tuer par ce rouleau ! Pas un rouleau aux insignes de Monaco !

Mathilde pose son arme en papier et se laisse tomber sur le lit. Romain s’assoit à côté d’elle. Il prend la télécommande pour trouver une chaîne d’information. Sur le bandeau en bas de l’écran défilent des actualités internationales. Un message annonce une alerte orange sur le quart sud-est, des forts orages de grêles sont à prévoir. Sur le plateau, différents spécialistes discutent des problèmes financiers de la Grèce. Soudain, un encart rouge s’affiche en bas à droite. Mathilde sent sa respiration se bloquer, les mains de Romain deviennent moites. Il s’agit d’une alerte enlèvement concernant un enfant. Romain veut éteindre, Mathilde interrompt son geste. Leur quart d’heure de célébrité devrait bien finir par arriver. Après le bulletin météorologique, s’affiche enfin Lyon. Derrière le nom de la ville, il est simplement inscrit qu’une coupure d’électricité a eu lieu pendant plusieurs heures, provoquant de nombreuses perturbations dans les transports. Toujours rien sur le vol. Mathilde et Romain restent silencieux devant l’écran jusqu’à ce qu’ils puissent lire à nouveau les mêmes informations que lorsqu’ils ont allumé le petit écran.

  • On éteint, on verra demain, décida Romain.

Mathilde n’a plus la force de riposter. Elle fouille dans son sac à la recherche d’un somnifère.

Anne-Lise

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Voilà plus de 15 ans que j’écris des histoires plus ou moins proches d’anecdotes personnelles vécues. Avec les mots, je transforme un quotidien somme toute très ordinaire en épopée digne des plus grands chevaliers.

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