/* Pinterest */ A côté de soi : chapitre 15 - Anne-Lise Bouchut

A côté de soi : chapitre 15

Juil 23, 2023

Quand Romain se réveille, Mathilde n’est plus dans la chambre. Son sac a disparu. Romain se précipite à la fenêtre pour regarder le parking. Il aperçoit sa voiture. Si Mathilde est partie se rendre, les enquêteurs ne se sont pas encore mis en branle pour rechercher son complice. Romain hésite à prendre une douche. Il préfère lever rapidement le doute sur ce que Mathilde a pu faire avant son réveil. 

Il descend dans la salle du petit-déjeuner et trouve Mathilde en train de lire le journal.

  • Je ne voulais pas te réveiller. Je suis descendue dès que j’ai ouvert un œil pour regarder les informations.

À son attitude sereine, Romain comprend aisément que rien n’avait encore fuité dans les médias. L’ambiance de la salle est celle de n’importe quelle salle de restaurant un week-end.

Romain s’assoit en face de Mathilde. Il pousse son verre d’eau et dépose le petit déjeuner qu’il a composé au buffet : deux bols de cacao, des tranches de pain et des petits pots de Nutella. Mathilde s’étonne de la quantité qu’il a prise et de ses choix enfantins. Romain lui répond que la vaisselle lui rappelle celle de la colo et lui tend un bol. Elle esquisse un sourire ironique. Il prépare deux tartines. Le petit-déjeuner terminé, elle demande à Romain s’il ne veut pas un café avant de partir. Ils l’avalent debout devant la machine. Romain pose la clé de la chambre sur le comptoir sans attendre une réaction de son hôte, encore absorbé par ses voitures qui tournent en rond.

Devant la voiture, il propose à Mathilde de faire quelques kilomètres puis de trouver un endroit pour réfléchir sur ce qu’ils allaient faire du tableau : mettre au point un plan rapide et efficace pour se sortir d’affaire et retourner dans sa vie comme si de rien n’était. Pour l’instant, personne ne semble s’être aperçu de la disparition du tableau. Romain sait que la plupart du temps la police demande aux journalistes de se taire lors qu’une œuvre d’art disparaît : un moyen de ne pas faire monter les enchères sur le marché noir et d’espérer identifier plus rapidement le commanditaire. Si quelqu’un s’était aperçu de l’envol du Principe d’incertitude, ses amis du musée auraient été au courant. Une telle nouvelle ne pouvait que déclencher une pluie de textos entre les plus fidèles des visiteurs du musée.

De toute façon, Romain doit être à Lyon ce soir, au plus tard dans la nuit. Demain matin, c’est lui qui pose les filles à l’école. Avec cette histoire, il n’a pas pu boucler un dossier comme il le voulait. Il passera dans la matinée au bureau pour le terminer avant de profiter d’un long week-end.

Le moteur éteint, Mathilde prend le tableau dans le coffre et s’engouffre dans le chemin au milieu des ronces. À quelques mètres, elle devrait trouver une rivière. Elle a bien l’intention de se débarrasser ici de cette croûte. Dans à peine une heure, elle pourra être dans un train direction sa maison. Elle dira à Thibault que le tournage s’est mal passé, qu’elle était trop énervée pour le prévenir et qu’elle espère qu’il ne s’est pas trop fait de soucis. Après tout, lui non plus n’a pas cherché à savoir où elle était passée. Tant pis. Lorsqu’on vit à deux, il faut savoir mettre les formes. Alors qu’elle s’apprête à balancer le plus loin possible le tableau, Romain lui saute dessus.

  • Tu es une grande malade ! hurle-t-il.
  • C’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité ! Rappelle-moi à cause de qui on est là à se faire chier dans un champ sans même avoir pu prendre de douche ?
  • Je ne t’ai jamais empêché de prendre une douche. C’est toi qui as voulu partir tout de suite après le petit déjeuner !

Romain essaye de lui arracher le tableau en prenant toutes les précautions possibles dans ce type de situation pour ne pas endommager la toile. Mathilde se débat, le griffe du plus fort qu’elle peut pour l’obliger à la lâcher.

  • Fous-moi la paix ! On balance ce bordel et tu me poses à la gare.

Romain n’a pas trouvé d’autres solutions que de lui mettre une claque pour pouvoir récupérer son butin.

  • Tu aurais l’idée de balancer La Joconde dans une rivière pleine de lisier ? Alors maintenant soit tu te calmes, soit je te laisse ici.

Mathilde hésite quelques instants à accepter la seconde option. Elle n’a pas le temps d’en dire davantage que Romain la tire par la manche, le Principe d’incertitude sous le bras.

  • Je suis sûr que tu as une cave chez toi. On va le déposer là-bas. Tu n’auras même pas besoin de prendre le train, tranche Romain d’un ton de manager peu habitué à laisser la place à la contradiction.

Mathilde, saisie par son aplomb, ne sait que répondre et suit Romain telle une petite fille qui a eu une mauvaise appréciation sur son carnet de notes.

Son téléphone sonne. Un appel de Valence. L’acheteur a changé d’avis. Alors qu’il avait commandé un film de cinq minutes, il souhaiterait finalement plusieurs petits films retraçant les portraits des habitants interviewés. Selon lui, ça ne devrait pas poser de problèmes. L’équipe a passé suffisamment de temps avec chacun pour avoir assez de matière pour ces vidéos. Mathilde essaye de lui faire comprendre qu’elle est occupée. Elle demande si elle peut le recontacter la semaine prochaine. Il lui répond que c’est assez urgent. Les vacances d’été approchent, les gens sont en train d’organiser leur séjour estival. C’est maintenant qu’un coup de collier doit être mis pour la promotion de la ville. Et puis l’année prochaine, ce sont les élections. Il est essentiel que le maire puisse présenter un bilan positif de son action, notamment en ce qui concerne le tourisme. L’interlocuteur de Mathilde lui laisse aussi entendre qu’à la rentrée, il y aurait certainement d’autres films à réaliser pour préparer la prochaine campagne électorale. Mathilde cède et conçoit à regarder rapidement ce qu’elle peut faire. Il manifeste une grande satisfaction et lui demande de lui faire parvenir les trois premiers épisodes pour la fin de semaine prochaine. D’ici là, il pourra voir s’il ne peut pas par hasard obtenir une petite rallonge de budget pour ce projet.

  • File-moi les clés. On va à Paris.
  • Tu me poses à la gare en arrivant, répond Romain d’un ton autoritaire.
  • Même pas en rêve. Tu ne mettras pas à un orteil en direction de Lyon avant qu’on se soit définitivement débarrassé de ce tableau.
  • On était d’accord, rétorque sèchement Romain. Tu le mets dans ta cave et on en parle plus.
  • Je n’ai pas de cave, dit Mathilde.
  • Fais comme tu veux alors puisque tu t’en fous de ce que je dis. Mais, moi, j’ai des responsabilités. Alors à 17 heures au plus tard, je monte dans le train quoiqu’il arrive, balance Romain pour garder la main.

Mathilde s’étonne de la capacité de Romain à lui provoquer des réactions violentes.  D’habitude, elle garde son calme. Il est vrai que parfois, il lui arrive d’imaginer qu’elle arrache les boyaux de son interlocuteur. Mais habituellement elle donne le change, fait semblant d’écouter, fait semblant de faire preuve de compassion. En vérifiant qu’aucune voiture n’arrivait de la droite, les griffures encore saignantes du bras de Romain lui ont fait se demander si l’ensemble des images sanglantes qu’elle mettait tant d’énergie à contenir ne finiraient pas par toutes éclater dans le réel, peut-être aujourd’hui. Sa victime l’aurait bien cherché.

Mathilde fouille dans son sac au pied de Romain, bien déterminé à ne pas lui donner un coup de main dans cette entreprise périlleuse. À croire qu’il préfère finir dans un fossé, plutôt que d’aider Mathilde. Puisqu’elle semble décidée à choisir pour deux, il lâche. Elle attrape son téléphone pour envoyer un texto à Benjamin. Elle espère qu’il n’est pas déjà en tournage pour une autre boite. Il faut absolument qu’ils travaillent ensemble aujourd’hui, juste une petite heure pour se mettre d’accord sur le montage des films de Valence.

Anne-Lise

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Voilà plus de 15 ans que j’écris des histoires plus ou moins proches d’anecdotes personnelles vécues. Avec les mots, je transforme un quotidien somme toute très ordinaire en épopée digne des plus grands chevaliers.

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