Romain est seul dans l’appartement. Les autres sont descendus chercher dans la voiture le matériel que Camille avait prêté pour le tournage de Valence. Il voit sur son portable que Benoît a essayé de le joindre. Demain il donne une conférence au musée. Il doit encore vouloir savoir à l’avance s’il pourra y assister. Romain se gratte frénétiquement le coude, va à la fenêtre, l’ouvre, regarde les gens dans la rue. Il a envie de se défouler, sortir, voir du monde, être au milieu de l’agitation. Il veut de l’air frais, du vent. Il veut les lumières de la nuit, l’anonymat de la ville.
Il sort, croise Mathilde. Il a oublié de lui demander de prendre ses affaires. Elle l’accompagne à la voiture. Il fouille dans le coffre, claque le haillon, va dans l’habitacle. Il sort le Principe d’incertitude de sa couverture. Il caresse le cadre, effleure la toile du revers de la main. Puis, il replace le tableau derrière le siège du passager. Romain ferme sa voiture et se dirige vers l’entrée de l’immeuble. Mathilde lui demande s’il a un problème.
- Il faut que je passe un coup de fil.
Dans l’appartement de Benjamin, Romain part s’isoler dans la salle de bain. Il doit trouver une excuse pour sa femme, dire qu’il ne rentrera pas ce soir, ne surtout pas l’inquiéter. C’est certainement la première fois qu’il va lui mentir. Évidemment, au quotidien, il ne lui dit pas tout de ses journées, mais, dans leur vie, il n’y a rien de particulier à cacher. Il passe l’essentiel de son temps au travail. Les quelques soirs où il s’absente de la maison, c’est pour une réunion en visioconférence avec ses collègues des États-Unis ou pour boire un verre avec deux trois copains de promos dont les épouses sont aussi amies avec sa femme. Lorsqu’il a échangé les premiers messages avec Mathilde, il ne lui en avait pas parlé. Il ne lui avait pas dit non plus pour le déjeuner. Pour Romain, ses retrouvailles n’avaient pas tellement d’importance. En y repensant, il n’a jamais parlé de ses années de colonie à sa femme. Ça non plus, ça n’a pas d’importance dans sa vie de famille. Le quotidien avec sa femme est rythmé par des questions d’organisation : organiser la garde des filles, organiser les vacances, organiser un dîner avec des amis… Un peu comme s’il est sans arrêt en train d’attraper le futur pour essayer de la maîtriser.
Ce soir, encore une fois, il fallait qu’il organise, qu’il planifie son absence de dernière minute. Sa femme connaît tous ses amis, toute sa famille. Impossible de prendre l’un d’entre eux comme alibi. Il en vient presque à regretter de ne pas s’être davantage impliqué dans la formation pour développer sa créativité. Là, de l’imagination, il en aurait bien besoin. Il pourrait demander à Mathilde une idée, ce qu’elle a dit à son mari pour justifier son absence. Il ne sait d’ailleurs pas si elle vit seule ou non. Les seules conversations qu’il l’a entendu passer étaient pour ses films de Valence.
Assis sur le rebord de la baignoire, Romain s’étonne du nombre de médicaments qu’il y a un peu partout parsemé dans cette salle de bain : plusieurs boites de paracétamol, des médicaments pour le rhume, des vitamines, des somnifères, des flacons d’antiseptique, des pansements…
Je suis à l’hôpital. Ne t’inquiète pas. J’ai eu un accident de voiture. Les urgences sont bondées. Je ne sais pas pour combien de temps, j’en ai.
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