- Et Thibault, ça va comment ?
Les garçons sont dans le salon, Camille et Mathilde adossées à la cuisine regardent cette étonnante rencontre. Ils ne sont pas très doués pour adopter les attitudes de l’autre. Benjamin refrène tant bien que mal l’envie, se vautrer dans son fauteuil éventré. Romain tente désespérément d’adopter une position aussi négligée qu’il peut : de temps à autre son pied se pose sur la table basse.
Mathilde raconte qu’elle n’a pas eu beaucoup d’occasions de passer du temps avec Thibault dans leur nouvel appartement. Elle pense qu’ils vont devoir vivre au milieu des cartons quelques mois.
- Tu vas pouvoir te rattraper ce soir.
Mathilde sent son ventre se nouer, ses mains devenir moites. Ses bras se croisent pour contenir son corps. Tellement prise par les soucis techniques des films pour Valence, elle n’avait pas anticipé ce type de remarques, pas prévu ce qu’elle allait faire ce soir, pas imaginé être adossée au mur, dans son mensonge.
- Oui, tu as raison, se contente de répondre Mathilde. Et toi, comment ça va ?
- Je crois que je vais tout arrêter, murmure Camille au bord des larmes.
Une fois de plus, lui fait part de son ras-le-bol : elle en a assez de son job, de vivre en ville, des horaires insupportables, des fins de mois angoissantes. Il y a quelque temps, elle a appris qu’un ami de ses parents cherchait quelqu’un pour vivre dans sa maison sur Chausey. Il n’y allait presque jamais. Il n’aimait ni la mer ni la sensation d’étouffement que lui provoquait l’île.
- Pourquoi ne la vend-il pas ?
- Tu vas vivre de quoi ?
C’est une maison de famille et l’argent ne l’intéresse pas. Il cherche juste quelqu’un de prêt à venir vivre sur l’île à l’année. Il veut y laisser tout un tas d’affaires. Il a besoin que quelqu’un soit présent à la fois pour ne pas se les faire voler et pour que la maison soit chauffée l’hiver. Il faut que le futur locataire soit d’accord de vivre dans une maison dont l’étage est quasi entièrement occupé par des cartons. Cet occupant devra aussi accepter de le laisser avoir accès à ces affaires n’importe quand. Camille est allée voir cette maison il y a quelques semaines. Elle est située à l’écart des autres, sur une colline. De la chambre, à marée basse, on peut tout l’archipel. Camille est tombée amoureuse de cette île. Elle a envie de tenter l’aventure de Robinson Crusoé.
Le propriétaire lui a dit que si elle acceptait, elle pourrait travailler dans le gîte ou dans le bar de l’île. Ils sont ouverts presque six mois dans l’année à partir de mi-avril. Avec ce qu’elle pourrait gagner pendant la saison touristique, elle aurait suffisamment de quoi vivre le reste de l’année. Et puis ce n’est pas sur une île quasiment déserte que les tentations de shopping sont les plus grandes.
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