Mathilde n’est pas sujette au vertige. Pourtant, elle aurait préféré ne pas avoir à emprunter cette échelle. Elle escalade tout en haut du placard. Sans regarder en bas, elle tire de la dernière étagère une vieille couette et des affaires de ski qu’elle laisse tomber par terre. Elle aperçoit une boite à chaussures. Impossible de lui faire le même sort sans crainte de déranger l’ensemble de l’immeuble. Elle prend son courage à deux mains et l’échelle à une pour descendre la boite sur le plancher des vaches.
Sa pizza arrive en même temps que le coup de fil du tournage. Camille a trouvé comme prétexte l’achat de tabac à rouler pour aller appeler Mathilde en cachette du cameraman. Elle est au bord des larmes. Aucune image ne pourra être exploitée. Comme d’habitude, Benjamin n’en avait fait qu’à sa tête et avait refusé de suivre les consignes du dernier briefing. Camille veut rentrer chez elle, ce. Mathilde est habituée à ces appels désespérés. Elle ne sait pas combien de temps encore elle pourra les faire travailler ensemble. Pourtant elle s’accroche à ce duo. Chacun a la douceur et la sensibilité nécessaire pour mettre à l’aise n’importe qui devant une caméra. Ils savent prendre soin des personnes qu’ils filment, leur faire baisser les armes pour capturer l’image juste. Aucun prix ne leur sera décerné pour ces films d’entreprise. Ils n’auront jamais aucune reconnaissance du milieu audiovisuel pour ce type de vidéo. Leur seule récompense est le sourire des salariés souvent malmenés dans leur boite. Eux pensent faire ces tournages pour cumuler des cachets, Mathilde est persuadée qu’ils les aident à assumer leur manière d’être dans cet univers où les rapports de force sont la norme. Elle aimerait tellement qu’ils arrivent à nouveau à s’entendre. De toute façon, elle ne voit pas avec qui d’autres réaliser son documentaire.
Comme chaque soir de tournage depuis un an, Mathilde sait écouter Camille, trouver les mots pour qu’elle ne laisse pas tout en plan. Benjamin connaissait ces appels. Il ne lui avait jamais demandé ce que Camille et Mathilde se racontaient ces soirs-là. Lorsqu’on choisit d’être derrière une caméra, c’est que les mots sont bien souvent trop vifs pour pouvoir les supporter. Benjamin préférait se réfugier dans le silence des images. Dans quelque temps, lorsqu’il partira filmer pour une autre boite de production, il demandera à Mathilde de venir arroser ses plantes. En lui donnant les clés de son studio, il saura lui faire comprendre combien il est de plus en plus difficile de travailler avec elle. Il lui laissera entendre à quel point il tient à elle. Les appels de Camille et Mathilde se terminent toujours de la même manière. L’une a toujours trouvé un super morceau qu’il faut absolument que l’autre écoute. Ce soir Camille lui fait découvrir un jeune guitariste de blues.
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