Mathilde cherche un morceau du guitariste de blues sur Internet, s’assoit sur le rebord de la fenêtre de la cuisine pour boire une bière et fumer une cigarette. Il lui aurait fallu mettre un coup de peinture blanche avant de donner les clés aux nouveaux propriétaires. Elle essaye de joindre Thibault pour avoir son avis. Son portable est éteint. Elle retourne à ses cartons. Il est trop tôt pour aller dormir et elle ne supporte pas de rester sans rien faire.
Elle aperçoit la boite à chaussure dénichée lors de son exploit d’équilibriste. Elle n’a aucune idée de ce qu’il peut bien y avoir dedans. Peut-être est-ce à Thibault. Elle découvre à l’intérieur un carnet rose fermé par un cadenas, une dizaine de cartes postales reliées par un élastique à cheveux signées d’un certain Romain et tout un tas de cartes d’anniversaire, de bonne année et de vacances. Les écritures de ces messages laissent penser qu’elles datent du début de l’adolescence peut-être de la fin de l’école primaire. Comme tout le monde, Mathilde se désole que les mails et les textos aient mis à mal ces pratiques d’écriture. Mais comme tout le monde, même en vacances, elle ne prend plus le temps d’aller acheter des cartes postales.
Elle hésite à les lire. Elle n’est pas du genre nostalgique. Elle a toujours trouvé assez absurdes les gens qui recontactent vingt ans après leurs anciens camarades de collège. Si on ne les voit plus, c’est qu’on a pris des chemins différents, qu’on ne partage plus les mêmes centres d’intérêt. A quoi bon chercher à faire semblant qu’on n’a pas tant changé que ça ? A quoi bon passer un dîner à ressasser des souvenirs, souvent assez idiots, de la période du collège ? Elle parcourt les signatures. Autant Carole, Hélène, Valérie, Virginie et Christelle ne lui ont laissé aucun souvenir, autant celui de Romain est encore présent.
C’était l’été après la sixième. Les parents de Mathilde n’avaient pas pu prendre leurs vacances ensemble. Pour la première fois, ils avaient proposé à Mathilde de partir une semaine en colonie. Elle avait accepté : l’idée de passer son été entre la piscine municipale et le jardin avec son petit frère ne l’enchantait guère. Sur le catalogue de la colo, on voyait des ados rirent autour du feu. Ce serait l’occasion de se faire de nouvelles copines. Les mois précédents, elle avait englouti le Club des cinq de la Bibliothèque Rose. Elle s’imaginait son séjour au milieu d’un groupe d’ados à l’amitié inébranlable, libre de vivre toutes les aventures. Le jour du départ, sa timidité avait remis en question son rêve d’évasion. Elle n’arriverait jamais à se faire des copains. Elle était persuadée que les autres se connaissaient déjà tous, que personne ne voudrait lui parler, qu’aucune fille ne voudrait partager sa chambre. Le cœur gros, elle est montée dans le bus. Peu après le départ, un animateur est venu s’asseoir sur un accoudoir non loin d’elle. Il avait proposé un petit jeu pour apprendre à connaître chacun des enfants. Une vingtaine de kilomètres plus tard, les rires fusaient, les amitiés naissaient.
Le centre de vacances était composé de différents bâtiments dédiés à des activités spécifiques. Celui abritant les dortoirs était séparé en deux : un côté fille, un côté garçon. Au réfectoire, les mêmes verres qu’à la cantine de l’école. Comme tous les enfants à qui on donne des verres Duralex, ils s’amusaient à regarder au fond le numéro inscrit : c’était l’âge qu’ils auraient lorsqu’ils se marieraient. Les jours de pluie, tout le groupe se réfugiait dans une grande salle. Les animateurs inventaient des dizaines de petits bricolages. Ici se passaient aussi les veillées.
Mathilde partageait sa chambre avec des filles plus vieilles, elles étaient en quatrième. Un soir, juste après le passage des monos pour éteindre la lumière, elles se sont mises à parler des garçons de la colo. Aucune des grandes n’était pucelle, elles avaient toute déjà au moins fait un smack voire rouler une pelle avec la langue. Mathilde n’y avait encore jamais vraiment pensé.
Elle aimait bien jouer avec Romain. Elle n’était plus à l’âge où on dit qu’on a un amoureux ni encore à celui où on cherche un petit copain. Juste, elle aimait bien Romain. Comme dans toutes les colos, le dernier soir avait lieu la boum. Comme dans toutes les boums de toutes les colos, il y a eu le moment des slows. Ses copines de chambre lui avaient dit que la sixième était la classe où toutes les filles faisaient leur premier smack. Elles l’ont poussé pour qu’elle aille danser avec Romain. Et voilà comment sur le duo Elsa – Glen Meideros est arrivé ce qui devait arriver.
Dans le car du retour, tout le monde s’était échangé les adresses. D’après la boite à chaussures, il n’y a qu’avec Romain qu’une correspondance se soit installée. Sur la dernière carte postale, aucun indice de ce qui avait pu mettre un terme à ces échanges épistolaires. Mathilde repose la boite à chaussure et ferme le dernier carton du salon.
Le lendemain, il ne restera à Mathilde que la cuisine à emballer. Des copains seraient là en début d’après-midi avec un camion. Ils se chargeraient de tout transporter pendant qu’elle serait chez le notaire. Thibault lui envoie un message pour savoir si tout s’était bien passé. Elle lui demande d’acheter du Sopalin et un paquet de pâtes avant de rentrer. Elle lui rappelle qu’il ne faut pas qu’il se trompe d’appartement ce soir, que cette semaine elle serait au bureau, en revanche la semaine prochaine elle serait en tournage en Ardèche. Thibault conclut l’échange par un OK.
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