En septembre dernier, j’ai repris mon cartable. Face aux incertitudes de la crise économique, il m’a semblé assez raisonnable d’accepter quelques vacations d’enseignement dans une école privée. Après quinze minutes d’échanges téléphoniques avec une responsable formation, me voilà en charge de réconcilier des étudiants avec l’écriture et d’en faire des plumes affûtées.
Pour beaucoup de freelances, donner des cours est une sorte de consécration professionnelle. Pour moi, c’est une tannée. Je n’aime pas devoir me plier aux horaires. Je déteste mettre des notes. Je suis fatiguée rien qu’à l’idée d’être obligée de dire « chut taisez-vous ». Je suis exaspérée lorsqu’ils m’appellent « Madame ». Je m’agace dès que le vidéoprojecteur ne fonctionne pas. Je ne comprends toujours pas pourquoi aucun feutre pour tableau blanc ne fonctionne plus de deux séances… Bref, je hais être dans une salle de cours face à 25 étudiants.
Dieu m’a entendu. Après trois séances en présentiel avec des étudiants masqués, me voilà à dispenser tous mes cours, pénard chez moi, derrière un écran.
Les étudiants ont vite compris que je n’allais pas m’amuser à perdre mon énergie à aller les motiver. J’aurais pu leur dire « c’est marche ou crève ». Mais j’ai opté pour une formulation beaucoup plus conventionnelle : « Mes cours étant très très courts, je n’ai pas envie de perdre le peu de temps qu’on a ensemble à faire l’appel. Pour savoir si vous êtes là ou pas, je regarderai juste si vous êtes connectés. » Pas mal, non?!
Cette petite phrase a fait mouche. Grâce à elle, se sont naturellement écartés dès la première séance, tous les étudiants qui pensent que parce qu’ils sont nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, ils n’ont pas besoin de travailler.
Et au fil des cours, les autres ont pu prendre leur place. Au début, il y a ceux qui avaient l’habitude d’être des petits fayots qui ont osé prendre la parole. Et vas-y que j’ai eu le droit à des grandes séances de brossages de moi dans le sens du poil. Mais après tout, comment leur en vouloir? Pour arriver à survivre dans le système éducatif français, il faut savoir séduire sous peine de s’attirer les foudres du professeur, ou pire de ne pas les intéresser.
C’est ensuite ceux trop habitués aux bonnets d’âne qui se sont lancés. Un peu bougons, un peu éparpillés, un peu patauds, toujours très rigolos, ils ont pris la parole, posé des questions, montré leur texte.
Enfin, les timides. Oh! bien entendu, ils ne se sont pas lancés dans le bain d’un seul coup. Doucement, mais surement. Ils ont commencé par m’envoyer des messages privés sur Instagram. Ils avaient toujours comme prétexte de vouloir mon avis sur un de leur projet perso. Alors j’ai fait semblant de ne pas voir qu’ils appartenaient à la catégorie des timides. Je les ai encouragés, certainement plus que tous les autres. Et puis un jour, ils y sont allés. Ils ont allumé leur micro et ont parlé en cours.
Et peu à peu les ex-petits-fayots, les patauds, les rigolos et les timides se sont regardés. Ils se sont écoutés. Ils se sont encouragés.
Et c’est ainsi que malgré les conditions d’enseignement absolument abominables pour progresser en rédaction, j’ai vu tous ces étudiants faire des bonds incroyables en écriture. Merci la pandémie!
Amen !