Depuis que les gens savent que je suis rédactrice, ils m’interpellent régulièrement sur ces questions de féminisation des noms de métiers, d’écriture inclusive ou encore de la fameuse règle selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin.
Oui, les personnes m’interpellent plutôt que m’interrogent; attendant de moi la réponse qu’elles veulent entendre. Être correctrice, c’est pour certains être le garant de la belle et noble langue française. C’est faire en sorte que les sacro-saintes règles soient respectées à la lettre et ne change sous aucun prétexte.
Alors souvent leur monologue débute, en substance, de la manière suivante
Tu te rends compte ? Certains voudraient abandonner la règle selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin ? A quoi bon faire en sorte que les mots zézettes deviennent aussi fort que les mots zizi? Et puis c’est n’importe quoi : ce n’est pas que le masculin l’emporte sur le féminin. C’est que le masculin a valeur de neutre ! Ces femens hystériques cherchent à voir le mal partout pour se donner une bonne raison de montrer leur nichons à tout le monde ! Elles ne respectent rien ni personne!
Et quelle aberration que les mots qui ont toujours eu un zizi puissent maintenant avoir une zézette ! Tout le monde sait très bien de quoi on parle ! Tout le monde sait très bien de quoi on parle lorsqu’on dit « un auteur ». En plus « autrice » c’est tellement moche. C’est vraiment une bande de féministes castratrices et mal baisées qui veulent nous imposer ça !
Bon alors reprenons calmement le débat. Au début des années 90, le mouvement de féminisation des noms de métier a pris de l’ampleur. Ainsi on a cherché à savoir comment on allait appeler une femme avocat, une femme médecin ou une femme plâtrier-peintre. Pharmacienne, ambassadrice et chercheuse sont des mots venus désigner ces femmes travaillant dans une pharmacie, une ambassade ou un laboratoire de recherche. Fini les temps où ils servait à nommer l’épouse d’un pharmacien, d’un ambassadeur et d’un chercheur. L’affaire a été assez rapidement tranchée pour les femmes exerçant des métiers intellectuels. En revanche, aujourd’hui encore, il reste beaucoup de chemin à faire pour les métier manuels.
A la même époque, mais de manière beaucoup plus confidentielle, ont eu lieu les premières remises en question sur la fameuse règle d’accord selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin. Trop souvent cette question a été éliminée en répliquant qu’il faut entendre cette règle comme le masculin ayant valeur de neutre. Or, dans notre langue, ceci est absolument faux puisque le genre neutre n’existe pas, contrairement à l’allemand.
Enfin, depuis plusieurs mois l’écriture inclusive a fait son entrée en scène. Ses partisans proposent pour l’accord du pluriel d’inclure les deux sexes grâce au point milieu. En écriture inclusive, on écrira donc « les électeur.rice.s », « les citoyen.ne.s ».
Certains détracteurs de ces évolutions sur la langue affirment que nous aurions la plus belle langue du monde et qu’il serait criminel de la faire évoluer. De plus, on entend que l’écriture inclusive rend les textes absolument illisibles, que la règle de l’accord a toujours existé et que jamais personne ne s’en est plaint, et enfin que la féminisation des noms de métiers ne changera rien à la reconnaissance des femmes dans le milieu du travail.
Enfin, on nous rebat suffisamment les oreilles avec des propos du type : » nous les femmes françaises, nous avons quand même beaucoup de chances comparées à la majorité des femmes dans le monde » . Or, comme dit mon mari comparaison n’est pas raison.
Les récents mouvement #metoo et #balancetonporc ne m’ont pas laissé penser que tout était gagné pour nous, les femmes des pays dit riches.
D’ailleurs, lorsque dans des soirées, les conversations arrivent sur ces mouvements, qui n’a pas vu des hommes avec des regards de chatons innocents se défendre le petit doigt sur la couture à coup de phrases mignonettes « mais on ne savait vraiment pas que vous, les femmes, vous subissiez si fréquemment ce type de choses. C’est vraiment trop moche… »?
Je crois que pour arriver à faire bouger les choses, il va falloir sortir l’artillerie lourde de l’argumentation et ne pas se contenter d’un « putain, vous nous faites vraiment chier avec votre société organisée par et pour les hommes » qui semble n’avoir que peu d’effet sur certains porteurs de testicules voire de nichons enfermées dans des cages dorées.
Alors c’est avec la linguistique et mon copain Jakobson que j’espère taper fort et enfin faire prendre conscience de l’intérêt de faire évoluer notre langue.
Que nous dit ce linguiste ? Jakobson explique que le langage remplit six fonctions. Pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, je vous en parlerai seulement de deux.
Il dit tout d’abord que le langage a une fonction référentielle : il sert à décrire le monde. Ne pas inclure dans notre langue les mots chirurgienne, présidente, maçonne ou éboueuse, ça serait faire comme si aucune femme n’exerçait ce métier. C’est faire aussi comme si ce qu’elle faisait n’avait pas d’importance, puisque ça ne mérite même pas d’être nommé.
La deuxième fonction de Jakobson qui m’apparaît essentiel pour comprendre l’intérêt de faire évoluer notre langue est la fonction conative. Le langage permet de faire naître chez son destinataire un comportement. Dans le cas de l’accord du pluriel, considérer que le masculin l’emporte sur le féminin, c’est permettre à celui qui lit un texte de légitimer le fait que le féminin doit toujours s’effacer devant le masculin.
Ainsi, selon moi, si on systématise la féminisation des noms de métiers et qu’on remet en question la règle de l’accord du pluriel, nous augmentons les chances de voir à moyen terme les mentalités changées.
L’air de rien, la zézette sera enfin reconnue comme aussi forte que le zizi !
0 commentaires