La mise en œuvre d’un projet artistique comme soutien au développement de compétences cognitives et affectives

Cadre général du projet

D’octobre 2014 à janvier 2015, nous avons accompagné au sein d’un centre de formation un groupe de 12 adultes âgés de 17 à 30 ans dans le projet Chuchotez vos chansons. Ces adultes sont inscrits à leur demande dans un parcours de formation composés de différents modules (projet professionnel, français mathématiques, mobilité etc.). Chuchotez vos chansons constitue un de ces modules.

Ce projet se déroule en deux phases. La première phase est constituée uniquement d’ateliers d’écriture. Elle a pour objectif de permettre aux participants d’oser écrire et de débuter une réflexion autour de différents thèmes. Ces thèmes seront la base de la seconde phase du projet ; à savoir l’écriture de chansons et leur interprétation.

Dans cette première phase du projet (5 séances de 2 heures), un seul intervenant est présent. Les activités pédagogiques et les observations permettent de mieux saisir les points d’appui et freins de chaque stagiaire pour la réalisation de la seconde phase.

Dans une deuxième étape du projet, nous choisissons d’être présent tous les trois sur l’ensemble des séances (5 séances de 2 heures) ; et ce afin de pouvoir croiser les regards et varier les exercices selon les besoins des apprenants et du projet. Nous travaillons ainsi en complémentarité selon nos spécialités. Un intervenant prend davantage en charge de la supervision du groupe : il s’agit d’observer les compétences et difficultés tant cognitives qu’affectives manifestées par les stagiaires et de proposer des ajustements d’exercices aux autres intervenants. Les deux autres intervenants ont plutôt un rôle sur les étapes sollicitant la créativité : un intervenant animant principalement les temps autour de la musique et le second les temps d’interprétation. Dans chaque séance, nous alternons des temps d’écriture, d’interprétation et de musique.

L’animation de nos ateliers suit une démarche socioconstructiviste. Nous proposons au groupe de travailler en deux sous-groupes de 5 à 7 stagiaires : un sous groupe travaillant sur le thème du bonheur, le second sur le thème de la relation mère-enfant. La constitution des sous-groupes est laissée à l’initiative des participants. Ils ont choisi de se positionner dans l’un ou l’autre à la fois selon des affinités interpersonnelles et leur intérêt pour l’un des deux thèmes. Dans ces sous-groupes nous favorisons l’expression de tous. Nous appréhendons les consignes comme des déclencheurs d’un processus de pensée. Nous portons sur les productions un regard bienveillant et non-jugeant. Nous cherchons à favoriser l’auto-évaluation de la production par le groupe et/ou le jeune.

Les caractéristiques du groupe

Au cours de la première phase du projet nous pouvons observer différentes caractéristiques cognitives et affectives du groupe.

Ces jeunes adultes sont inscrits dans une formation ayant notamment pour objectifs de renforcer ses savoirs de base, de réactiver des habiletés sociales, de reprendre confiance en soi et d’être capable de travailler dans un collectif et ce pour leur permettre de sécuriser leur insertion socioprofessionnelle.

La majorité des personnes de ce groupe sont sorties depuis peu du système scolaire. Les représentations des savoirs de bases (lecture, écriture, mathématiques…) sont organisées dans un rapport instrumental.

Au niveau cognitif, nous pouvons relever des difficultés de décentration. Comprendre un point de vue différent du sien et être en mesure de l’intégrer pour faire évoluer son opinion sur un sujet est une capacité cognitive peu construite pour la plupart des membres de ce groupe.

Un parcours scolaire et personnel souvent chaotique a marqué fortement l’estime de soi des membres de ce groupe. Ils ont peu confiance dans leurs capacités d’évoluer et de construire un parcours valorisant. De plus, les membres de ce groupe se caractérisent par des difficultés à exprimer et gérer leurs émotions.

Reprendre confiance en soi et en sa capacité à agir sur son environnement, donner son point de vue, comprendre un avis différent du sien, prendre du plaisir à construire un projet, être fier de ses avancées vont être autant de préalables à une insertion socioprofessionnelle durable, sereine et épanouissante.

Un projet artistique pour accompagner l’insertion socioprofessionnelle

Ainsi les caractéristiques cognitives et affectives de ce groupe viennent renforcer notre conviction de l’intérêt de proposer un projet artistique pour les accompagner au mieux dans leur insertion socioprofessionnelle. En effet, ce type de projet et notamment la seconde phase de Chuchotez vos chansons met en œuvre à la fois des compétences créatives, d’expression de soi et de communication.

Développer des compétences créatives

Les compétences créatives prennent appui sur des compétences cognitives indispensables au développement de l’autonomie dans la vie quotidienne. S’adapter à son environnement professionnel, se débrouiller seul pour aller à un rendez-vous, organiser une soirée d’anniversaire, trouver un logement… sont autant de situations de vie quotidienne faisant appel à des processus cognitifs de créativité. Plus précisément, pour s’adapter de manière spécifique à un contexte toujours nouveau, le sujet doit être capable d’aller chercher dans son environnement des informations en lien avec le problème (encodage sélectif), de construire des analogies ou d’établir des métaphores (comparaison sélective), de produire de nombreuses idées à partir d’un point de départ (fluidité de pensée) ou encore de changer d’angles de vision sur le problème afin de trouver une solution innovante (flexibilité cognitive).

Ce sont bien ces compétences qui sont mises en œuvre lors des phases d’écriture des chansons. Un premier sous-groupe a choisi de travailler autour du thème du bonheur. Leur texte adopte une forme énonciative. Pour ce faire, les participants mettent en œuvre des processus de fluidité mentale. A partir de thème du bonheur, ils cherchent  à faire l’inventaire de tous les éléments susceptibles de le fonder. Quant au second groupe, dans sa chanson Prendre son envol, il a travaillé sur la relation mère-enfant et a construit un texte de forme métaphorique. Ainsi après avoir réfléchi ensemble à ce que pouvait être cette relation, nous les incitons à construire puis dire des images associées au thème. De plus, nous guidons leur réflexion en sollicitant leur flexibilité cognitive. Dans une première phase d’écriture, les stagiaires travaillent sur la relation de l’enfant vers sa mère. Puis dans un second temps, ils optent pour un changement de point de vue en proposant des métaphores autour de la relation de la mère vers son enfant.

Etre attentif à soi et exprimer ses émotions

La créativité artistique est un outil pour mettre à distance et matérialiser des états intérieurs devenant ainsi un objet du réel à part entière. A partir de cette mise à distance, il est alors possible de faire travailler ces adultes au développement de processus de pensée autour de soi.

Proposer des thèmes de réflexion ambitieux est, selon nous, un moyen de permettre aux stagiaires de s’inscrire dans un processus d’intellectualisation  c’est-à-dire un moyen d’écarter des tensions affectives intérieures et d’orienter ces dernières sous un aspect théorique et distancié. Lors des temps d’élaboration de la réflexion autour des thèmes, les stagiaires expriment de nombreux éléments liés à leur vécu individuel douloureux ou, à l’opposé, ont évoqué des représentations du bonheur ou de la relation mère-enfant socialement valorisées mais partiellement étranger d’eux-mêmes. Notre rôle est d’une part de leur permettre de prendre conscience de ces deux tendances puis de les amener à s’en détacher pour chercher en eux des expériences personnelles de vécus positifs autour de ces deux thématiques.

Développer sa capacité à être attentif à ses états émotionnels intérieurs est travaillé lors des exercices d’interprétations des chansons ; cette fois-ci en abordant spécifiquement la question des émotions. Le point de départ d’une émotion est une réaction neurochimique en d’autres termes quelque chose qui se passe dans le corps. Des effets sur le corps jusqu’à l’élaboration de représentions conscientes, cette production neurochimique va alors devenir une production d’un affect qualifié via le langage. Pour travailler l’expression des émotions, nos ateliers d’interprétations sont massivement organisés autour de l’appropriation et du rapport au corps. Ainsi nous pensons que sa capacité à s’exprimer prend comme point de départ sa capacité à habiter son corps. Enfin, ce travail autour du corps d’autre part été soutenu par un ensemble d’exercices rythmiques.

Savoir communiquer

Les compétences à communiquer à un public large sont développées de manière transversale tout au long du projet. Communiquer ses idées ou ses sentiments nécessite de prendre en compte le ou les auditeurs. Comment se raconter sans faire preuve d’impudeur ? Comment exposer son opinion sans déstabiliser celui qui écoute leurs chansons ?

Ainsi les stagiaires élaborent cette capacité au moment de la mise en mots de leurs idées : apprendre à être précis dans son vocabulaire pour décrire leurs idées ou leurs images ; savoir choisir les mots pour permettre à l’auditoire de suivre leurs pensées ou les nuances de leurs émotions.

Dans les exercices d’interprétations, nous faisons travailler les stagiaires sur la manière de se présenter face à un public, sur ce que la voix peut véhiculer comme intention mais aussi sur l’adéquation entre la manière de regarder un auditoire et le message qu’ils souhaitent transmettre.

Le grand jour !

La présentation des chansons devant un public a eu lieu le 5 février 2015. Les stagiaires ont su faire face aux aléas de ce type de projet (changement de musicien, salle nouvelle etc.) sans se laisser envahir par l’appréhension de la scène.  Ils ont manifesté beaucoup d’enthousiasme  et de rigueur de travail lors des derniers calages ainsi qu’une grande cohésion de groupe sur scène.

Lorsque nous leur demandons ce qu’ils retiennent de cet atelier immédiatement après être descendu de scène, Lotfi répond « On s’amuse, on rit, on change un peu tout » et Anissa « au début j’avais peur, mais maintenant j’ose, je suis sûre que je peux le faire ».

Dans une séance de bilan, le groupe dira que ce projet leur a permis de s’exprimer, de prendre confiance en eux, d’apprendre à se concentrer, d’avoir envie de continuer à écrire et à monter sur scène.

Anne-Lise

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Formatrice et chercheure en rédaction, éducation et intelligence artificielle.

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