Salut Brigitte !
Comment vas-tu ? Bien passé les vacances avec Manu ? Je n’ai pas trop suivi ce que vous avez fait, mis à part que vous avez mangé des pizzas. Moi aussi, je m’en suis fait une cure. C’est hyper pratique en vacances. Vite fait, bien fait ! Et ça plait à tout le monde !
J’ai l’impression que ce rôle de première dame t’ennuie ferme. Tu me sembles avoir besoin de te sentir utile, d’être au plus proche des Français et de leurs problématiques. Tu a l’air de t’ennuyer tellement que tu as décidé de reprendre le cartable en septembre. Aujourd’hui, j’ai vu passer plusieurs articles dans la presse qui annonçaient que tu étais en train de t’engager dans un centre de formation pour adultes très éloigné de l’emploi.
Alors toi ou le journaliste du JDD appelez ces personnes des hyperdécrocheurs. C’est bizarre, j’ai bossé un certain nombre d’années sur cette question et je n’avais jamais entendu parler de ce terme. Réfléchissons à ce qu’il peut bien vouloir dire. Mettons le mot dans un contexte de vie quotidienne.
Aujourd’hui, Anne-Lise a nettoyé les murs de son bureau. Pour ce faire, elle a décroché ses tableaux.
Là tout le monde voit bien ce que j’ai fait. À présent, utilisons le néologisme de l’article.
Aujourd’hui, Anne-Lise a nettoyé les murs de son bureau. Pour ce faire, elle a HYPERdécroché ses tableaux.
Dans cette seconde phrase, en revanche, je suis un peu perdue. Qu’est-ce que j’ai fait à mes tableaux ? Je les ai écrabouillés par terre parce que ça me gavait de faire le ménage ? Je les ai balancés par la fenêtre ? Ou alors j’ai fait ça hyper vite. Genre en moins d’une seconde, j’ai hyperdécroché mes tableaux ! Alors si j’hyperraccroche le néologisme au contexte de la scolarité… je ne sais plus trop où j’habite… Bref, on ne va pas chipoter sur les mots. On n’est pas prof de français, non plus. Enfin, pas moi…
Brigitte, je te taquine. Je vois très bien de quel type de population tu parles : des personnes qui sont sorties (ou que l’école a fait sortir) du système scolaire très tôt sans aucun diplôme et qui n’arrivent pas à trouver un emploi. L’article du JDD indique qu’ils sont cachés.
Je sais qu’il y a des différences entre Paris et la province. Mais moi, en province, je n’ai jamais vu des hyperdécrocheurs faire un grand jeu de cache-cache tellement bien réussi qu’on ne les voit pas. Ah ! Mais ça y est ! J’y suis ! Ce n’est pas qu’ils sont cachés ! C’est que toi et/ou le journaliste du JDD vous ne les voyez pas ! Comme je suis sympa, je vais vous aider. Je vais vous donner un petit indice pour les voir. Vous prêts prêts ? Ils ne sont ni à l’Élysée, ni cachés dans les placards du JDD ! Si vous voulez les voir, il va falloir faire un grand voyage… il va falloir prendre le métro ! Et à mon avis au bout de quelques stations, vous devriez tomber sur une agence Pole Emploi, un CCAS, des bains publics : lieux que fréquentent beaucoup plus habituellement les personnes que vous ne voyez pas. Mais j’ai l’impression que je m’égare un peu. Je me doute bien que ce n’est pas toi, Brigitte, qui va te cogner à faire le tour des popotes du social pour remplir ton école ! Tu as une équipe !
D’après l’article, ton rôle a consisté à monter le projet en réunissant des têtes d’affiche qui seraient des spécialistes des pédagogiques alternatives. Tu as fait appel à Thierry Marx qui a monté des projets similaires. La réussite de ses écoles tient au fait qu’il connait particulièrement bien ce type de population puisqu’au sein de ses cuisines il a formé des décrocheurs scolaires. Son parcours personnel lui donne aussi une certaine posture pour appréhender concrètement les modes d’apprentissages et les freins psychoaffectifs que peuvent rencontrer des personnes en souffrances avec l’école. Tu as aussi fait appel à :
- Ben-J du groupe Nèg’Marrons dont j’ignorais sa compétence en pédagogie
- la chef d’orchestre Zahia Ziouani qui mène depuis de nombreuses années des actions de démocratisation de la culture
- le neuroscientifique Stanislas Dehaene, qui demande à ses petites mains de labo de mettre des gens dans des tubes pour observer leurs cerveaux afin de faire des photos qui révéleront des fonctionnements cognitifs déjà mis en évidence par les pédagogues du début du XXe siècle
- le maire de Clichy-sous-Bois, Olivier Klein, l’ancienne présidente du Club XXIe siècle Najoua Arduini — ElAtfani… (eux je ne sais pas trop les compétences qu’ils ont en lien avec le projet, car j’ai trop la flemme de chercher)
Pour financer le projet, tu as fait appel à LVMH. C’est rigolo ! ça me fait penser à Carla Bruni-Sarkozy qui lorsqu’elle était première dame finançait des actions de lutte contre l’illettrisme grâce à sa fondation. Puis une fois que son mari a dû trouver un autre job, y avait plus une thune pour l’illettrisme et tous les projets se sont cassé la gueule. Ben ouais le social ça va deux minutes ! Mais s’il n’y a plus les projecteurs pour mettre un peu de paillettes, ça ne sert à rien de continuer à filer de la thune. Après tout, pour qu’il y ait des riches, il faut qu’il y ait des pauvres ! Et puis à trop vouloir éduquer le peuple…
Toi, en revanche, je sens que tu as vraiment envie de les éduquer. Tu en as d’ailleurs tellement envie qu’il parait que tu vas même leur donner des cours. Le problème c’est qu’à priori, cet été, tu as été trop occupé à manger des pizzas avec Manu, et tu n’as pas pu aller suivre les différents stages de formation proposés par tout un tas d’associations spécialisées en pédagogie alternative. Tu sembles vraiment être prise de cours dans la préparation de tes interventions puisque tu vas proposer à ces personnes qui pendant des années n’ont pas pu se voir l’école en peinture des cours magistraux de littérature. Alors bien entendu, pour faire passer la pilule, ils vont être intitulés Master class. Mais au final, cours magistral ou master class c’est quand même le prof qui parle et les autres qui écoutent. C’est à peu près à l’exact opposé de ce que toutes les pédagogies alternatives proposent. Mais bon, après tout, « je parle, tu te tais » ça marche pour la plupart des élèves. Ils finiront bien par s’y faire !
En tout cas, je suis très contente de voir que tu t’investis dans un projet cohérent et dont, je ne le doute pas, la pérennité ne dépendra pas du job de ton mari.
Je suis impatiente de voir les résultats !
Je te souhaite plein de bonheur !
Bises
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