ChatGPT : usages et représentations d’étudiants

Voilà maintenant plus d’un an que ChatGPT est tombé dans nos classes. Un an que tout le monde en parle. Un an pour dire au revoir à mon métier de rédactrice et reprendre le cartable. Depuis septembre, le téléphone sonne : « Au secours Anne-Lise, fais quelque chose ! Déjà qu’ils ne savaient pas écrire, mais avec ChatGPT, ça va être pire. Ils sont sans arrêt collés dessus ».

Ok j’arrive.

Mais que font vraiment les étudiants avec ce fameux ChatGPT ? C’est l’enquête que je commence à mener depuis janvier 2024 dans le cadre du groupe de recherche IA & éducation du Cepec. Première étape : un questionnaire distribué entre le 11 janvier 2024 et la 28 février 2024 à 110 étudiants.

Qui sont-ils ?

110 étudiants de bac+1 à bac+5 dont 69 en BTS (1ʳᵉ et 2ᵉ année)

Inscrit dans différents domaines de formation : comptabilité, gestion d’entreprise, ressources humaines et communication

Fréquence d’utilisation de ChatGPT par des étudiants ?

Plus de la moitié des étudiants ayant répondu au questionnaire n’utilise jamais, voire très peu ChatGPT.

Une de mes étudiantes m’a expliqué qu’elle ne voulait pas l’utiliser, car elle avait peur de perdre ses acquis. Porteuses d’une dyslexie sévère, elle avait eu une rééducation orthophonique pendant de nombreuses années. Afin de palier ses difficultés d’écriture, elle avait déployé beaucoup d’effort. Elle ne voulait pas prendre le risque de voir tout ceci s’évaporer en n’écriant plus par elle-même.

Usages de ChatGPT

C’est principalement pour rédiger qu’ils déclarent y avoir recours.

45 étudiants déclarent aussi l’utiliser pour faire des recherches sur Internet. Or, ChatGPT 3.5 (la version gratuite) ne peut pas se connecter à Internet. Seule la version payante ChatGPT 4 peut faire des recherches. Les recherches qu’il réalise sont très limitées. Généralement, il passe en revue 3 ou 4 site pour fournir une réponse.

Lorsque j’échange sur cet outil avec mes étudiants, la majorité me dit utiliser la version gratuite.

Représentation de l’innovation

Afin de comprendre comment ils appréhendent cette innovation, j’ai repris la terminologie de Gilles Moyse dans son ouvrage « Donnerons-nous notre langue au ChatGPT? »

Quel bonheur de voir des petits caractères s’afficher sur l’écran. Peu importe la question qu’on va poser à ChatGPT, à chaque fois le miracle se produit, un texte apparait comme par magie.

Comment ne pas devenir accro ? Devant la nouveauté, notre cerveau nous envoie de la dopamine. Et nous, on adore la dopamine. C’est d’ailleurs parce qu’on aime tellement la dopamine qu’à longueur de journée, nous scrollons sur les réseaux sociaux, comme nous l’expliquent si justement les vidéos d’Arte.

Lorsque j’échange avec les étudiants, certes, il y a la magie, mais il y a aussi l’inquiétude. Alors que je faisais une démonstration de production de texte par ChatGPT, un de mes étudiants en 1ʳᵉ année a lancé : « mais qu’allons-nous devenir ».

Si effectivement l’outil est très attirant, il n’en reste pas moins que mes étudiants semblent attentifs aux éventuels changements qu’ils pourraient produire sur leur vie.

Connaissance du fonctionnement de ChatGPT

Dans le questionnaire, je leur ai demandé : « Savez-vous quelle est la logique de fonctionnement de ChatGPT ? »

Tous les étudiants ne sont pas des geeks qui connaissent les dessous de l’IA.

44 déclarent ne pas savoir comment ça fonctionne.

66 ont affirmé connaitre le fonctionnement. Lorsqu’ils répondaient « oui » à cette question, ils avaient la possibilité de rédiger quelques phrases pour expliquer le fonctionnement de ChatGPT. 40 se sont lancé dans des explications.

• 3 étudiants ont fourni une réponse complète et correcte

Comme toutes les formes d’IA, elle compile une série complexe d’algorithme sensé imiter la pensée humaine comprenant la recherche et l’analyse de données accessibles sur le web et la résolution de problèmes logiques, et l’apprentissage par copie, imitation et correction (je l’espère)

• 28 ont donné une réponse partielle et approximative

ChatGPT recherche et compare de nombreuses sources d’informations.

• 9 ont expliqué l’utilité de l’outil

Donne une structure, une marche à suivre pour développer son idée

Avantages perçus par les étudiants

Arrivent loin devant les réponses « gagner du temps » et « faciliter la rédaction ».

Certainement que derrière la réponse « faciliter la rédaction » il y a l’idée de ne plus avoir à rédiger. Enfin l’espoir de dire « bye-bye » à ce qui pour beaucoup de mes étudiants est vraiment très désagréable.

Pourtant, en confiant massivement la rédaction de leurs textes à ChatGPT, ils prennent le risque de ne pas habiter pleinement leur discours. Le risque de voir apparaitre des pensées désincarnées s’amplifient.

Pour Strauss-Raffy (2002) l’écriture est une activité qui engage le sujet. Lorsque les étudiants sont en train d’écrire, ils sont en train de modifier leur pensée. Au fil de la plume, leur pensée peut évoluer dans un sens non prévu. Jeter l’encre, c’est vous confronter à soi-même, c’est vous découvrir et accepter d’être un sujet ayant une pensée autonome. C’est être responsable de son discours.

Parmi les autres IA utilisées par les étudiants se trouvent l’IA de Snapchat. Il s’agit à la fois un réseau social et une application de messagerie multimédia. C’est un outil utilisé massivement pour communiquer entre eux. Aussi, si les étudiants délèguent la rédaction d’un message à un de leurs pairs à une machine, comment s’engage-t-il dans la relation ?

Inconvénients perçus par les étudiants

Comme je l’évoquais plus haut, la crainte de perdre des compétences est bien présente chez les étudiants. Au quotidien, il semble être attentif. Pour preuve, cette phrase croustillante lancée par un de mes étudiants à son voisin qui envisageait d’aller sur ChatGPT :

T’as un cerveau ? Ben, tu t’en sers

Les inconvénients du biais culturel et de la perte de données ne paraissent pas être importants pour eux.

Or,

La notion de souveraineté des données prend une importance croissante, les informations personnelles devenant une arme économique et un élément central des dynamiques de pouvoir sur la scène mondiale. Le scandale impliquant Cambridge Analytica au début des années 2010 souligne l’ampleur de cette question. L’exploitation des données personnelles de 87 millions d’individus pour conseiller l’équipe de campagne de Donald Trump et le mouvement pro-Brexit a révélé dans quelle mesure les données peuvent influencer les résultats politiques majeurs.

L’utilisation de telles données ne se limite pas aux campagnes politiques ; elle est omniprésente dans divers secteurs, influençant les décisions et façonnant l’opinion publique.

D’autre part, il est important d’avoir en tête que ces IA et notamment ChatGPT ont été développés selon une culture et une morale américaine. Je vous invite à aller jeter un œil sur un de mes précédents articles.

En conclusion

À présent, nous savons qu’il faudra faire avec ChatGPT et toutes les IA. Ces premiers résultats nous montrent dans quels axes engager des accompagnements pédagogiques et éthiques des étudiants.