Aider vraiment les apprenants à écrire avec l’IA

L’ère des intelligences artificielles génératives (IAG) a bouleversé la manière dont les apprenants abordent la rédaction. Plutôt que de se limiter aux méthodes simplistes de création de prompts, il est essentiel de comprendre comment ces outils peuvent enrichir les compétences rédactionnelles des élèves.

En revisitant le cadre conceptuel développé lors de mes travaux de thèse, je vous propose d’explorer comment les différents modèles de production écrite peuvent éclairer et enrichir notre compréhension de l’interaction entre le scripteur et l’IAG.

L’écriture : un processus cognitif complexe à repenser

La production de texte est une activité complexe qui mobilise un grand nombre d’informations à travers une régulation cognitive spécifique. Le principal défi réside dans le passage d’une représentation multidimensionnelle du message à une transcription linéaire. En d’autres termes, le scripteur doit sélectionner et organiser les informations selon un point de vue unique (Fayol, 1997).

Selon Hayes (1996), la production écrite est un processus qui se déroule dans un environnement qui interagit avec les dimensions affectives et cognitives du scripteur. Les étapes de planification, de mise en texte et de révision ne sont pas des actions séquentielles, mais des processus interactifs tout au long de la production écrite (Hayes, 1996 ; Kellogg, 1996 ; Piolat, Kellogg, Farioli, 2001). Ceci rend ces étapes encore plus délicates chez les jeunes ou les scripteurs inexpérimentés (Fayol, 1997).

IA et rédaction : délégation ou collaboration ?

Lorsque nous écrivons avec une IA, nous ne sommes plus seuls avec nos propres processus cognitifs. Il devient essentiel de comprendre quelles parties du processus nous déléguerons à la machine, lesquelles nous expliciterons à l’IA et celles que nous conserverons sous notre contrôle. Cette prise de conscience est particulièrement importante pour les jeunes apprenants ou ceux peu familiers avec l’écriture.

L’IAG prend en charge principalement la mise en texte, mais la planification et la révision restent sous la responsabilité du scripteur. C’est ici que la connaissance des processus cognitifs s’avère cruciale.

La planification : une étape clé dans l’usage de l’IA

Le processus de planification est fondamental pour anticiper ce qui sera écrit, tant en termes de contenu que de forme. Le modèle de planification proposé par Hayes et Flowers (1980) rejoint celui de la résolution de problèmes de Hoc (1987), où la planification permet de définir des objectifs de contenu et de traitement. Ce modèle inclut la fixation des buts, la récupération des connaissances et leur organisation pour répondre aux objectifs.

Ainsi, avant même de rédiger un prompt pour une IAG, le scripteur doit se poser les questions suivantes :

  • Quel est le but de ma production écrite ?
  • Quelles connaissances sur le sujet dois-je mobiliser ?
  • Comment vais-je organiser ces connaissances pour produire mon texte ?

L’importance du questionnement : écrire avec intention

Alamargot, Chanquoy et Chuy (2005) soulignent que l’élaboration de plans est essentielle une fois que les connaissances sont activées. Hayes et Flowers (1980) identifient trois types de plans :

  • Plan pour faire (Plan rhétorique) : détermine les contraintes pragmatiques liées à l’activité rédactionnelle.
  • Plan pour dire (Plan déclaratif) : construit une représentation simplifiée des informations à transcrire.
  • Plan pour composer (Plan des processus) : organise les processus et sous-processus intervenant dans la production de texte.

Pour utiliser efficacement une IAG, le scripteur doit répondre à des questions spécifiques en fonction de chaque type de plan :

  • Plan pour faire (Plan rhétorique) :
    • Quel est le public cible de mon texte ?
    • Quel format ou genre textuel est attendu ?
    • Quelles sont les contraintes de longueur ou de style à respecter ?
    • Quel ton dois-je adopter (formel, informel, persuasif, etc.) ?
    • Quels sont les critères d’évaluation à prendre en compte ?
  • Plan pour dire (Plan déclaratif) :
    • Quelles sont les idées principales à transmettre ?
    • Quels exemples ou arguments pourraient soutenir mes idées ?
    • Quelles informations essentielles doivent figurer dans mon texte ?
    • Y a-t-il des concepts clés à définir ou expliquer ?
    • Quelles sources ou références dois-je inclure ?
  • Plan pour composer (Plan des processus) :
    • Dans quel ordre vais-je présenter mes idées ?
    • Comment vais-je structurer l’introduction et la conclusion ?
    • Quelles transitions utiliser entre les parties ?

Une fois que ces questions sont posées, il devient possible de rédiger un prompt efficace. Ce questionnement peut même amener les scripteurs à formuler plusieurs prompts pour mieux exploiter le potentiel de l’IA.

Face aux enjeux de l’IA : penser la complexité et développer les compétences

L’intelligence artificielle offre des opportunités incroyables pour la rédaction, mais elle nous met aussi face à des défis stimulants. Il est essentiel de ne pas simplifier cette réalité, mais plutôt de comprendre la complexité des processus cognitifs en jeu. En tant qu’enseignants, formateurs ou professionnels de l’écriture, nous avons une responsabilité : accompagner nos étudiants dans le développement de compétences solides, afin qu’ils puissent utiliser ces outils de manière réfléchie et créative.

Je suis convaincue que nous pouvons relever ces défis ensemble, et c’est pourquoi je propose dès 2025 des formations pour formateurs et des conférences sur l’intégration de l’IA dans la rédaction. En explorant les aspects théoriques et pratiques, nous construirons ensemble un avenir où les nouvelles technologies enrichissent véritablement notre manière de penser et d’écrire.

Bibliographie

Alamargot, D., Chanquoy, L., Chuy, M. (2005). L’élaboration du contenu du texte : de la mémoire à long terme à l’environnement de la tâche. Psychologie française, 50, 287-304.

Fayol M. (1997). Des idées au texte. Paris : Presses Universitaires de France

Hoc, J.-M. (1987). Psychologie cognitive de la planification. Grenoble : PUG.

Hayes, J.R. & Flowers, L.S. (1980). Identifying the organisation of writing processes. In Gregg, L.W., Steinberg, E.R. (Eds.), Cognitive processes in writing: An interdisciplinary approach. (pp 3-30). Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates.

Hayes, J.R. (1996). A new framework for understanding cognition and affect in writing. In C.M. Levy & S. Ransdell (Eds.), The science of writing : Theories, methods, individual differences and applications (pp. 1-27). Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates.

Piolat, A., Kellogg, R.T. & Farioli, F. (2001). The triple task technique for studying writing processes : on which task is attention focused ? Current Psychology Letters. Brain, Behavior and Cognition, 4, 67-83.

Anne-Lise

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