L’arrivée des intelligences artificielles génératives, en particulier ChatGPT et ses équivalents, interroge directement la place de l’évaluation dans le collège et le lycée. Les enseignants voient apparaître des devoirs entièrement rédigés par des IA, des analyses trop abouties pour être authentiques, ou des argumentations sans aucune trace de démarche personnelle.
Loin d’être anecdotiques, ces situations révèlent une tension profonde : comment continuer à évaluer les apprentissages lorsque les élèves peuvent externaliser une partie du travail à une machine ?
Cet article propose d’examiner successivement l’état de l’évaluation dans le secondaire, les apports possibles de l’IA dans le processus évaluatif, puis les conditions nécessaires pour concevoir des évaluations résistantes à l’IA.
1. Évaluer dans le secondaire : tensions, enjeux et limites du système actuel
L’évaluation au collège et au lycée est marquée par une forte présence de la note, perçue comme l’indicateur principal par les familles. Les travaux du Cnesco, de l’OCDE ou encore de la DEPP montrent que la note devient progressivement l’outil central, parfois au détriment de la fonction formative de l’évaluation.
Cette dominante produit plusieurs effets.
Elle génère une anxiété notable : plus de six élèves sur dix déclarent ressentir du stress avant les contrôles. Elle rend difficile l’explicitation des critères, souvent implicites ou mal compris. Elle fragilise la motivation lorsque la note est vécue comme une sanction plutôt qu’un levier d’apprentissage.
Enfin, elle place les enseignants dans une position délicate : garants d’une équité parfois impossible, évaluateurs sous contrainte du calendrier, et souvent peu formés aux dimensions psychopédagogiques de l’évaluation.
L’intelligence artificielle ne fait qu’accentuer ce déséquilibre. Les productions générées par IA mettent en lumière des évaluations « délégables », c’est-à-dire des tâches qui ne mobilisent pas la pensée de l’élève. Loin de se réduire à une question de triche, ces usages interrogent la conception même de nos évaluations.
2. Comment l’intelligence artificielle peut soutenir le processus d’évaluation
Il serait réducteur d’aborder l’IA uniquement comme une menace. Utilisée de manière raisonnée et encadrée, elle peut devenir un outil puissant pour améliorer la qualité pédagogique de l’évaluation au collège et au lycée.
2.1 Clarifier les critères d’évaluation
Les élèves progressent davantage lorsque les critères sont explicites, compréhensibles et alignés sur les objectifs d’apprentissage. Or leur formulation demande du temps, de la précision et une cohérence souvent difficile à maintenir entre les classes et les niveaux.
L’IA peut aider à reformuler une grille, à proposer des niveaux de maîtrise, à traduire des critères en langage élève ou à en expliciter les attendus. Elle ne crée pas le contenu, mais en facilite l’exposition.
2.2 Faciliter la production de feedbacks formatifs
Le feedback est l’un des facteurs qui influencent le plus la réussite scolaire. Pourtant, écrire un retour clair, bienveillant et utile prend un temps considérable. L’IA peut contribuer à reformuler un commentaire, à proposer plusieurs variantes selon le niveau de maîtrise ou à synthétiser les erreurs récurrentes dans un ensemble de copies.
Elle n’évalue pas à la place de l’enseignant. Elle facilite la mise en mots du retour, sans en altérer l’intention pédagogique.
2.3 Soutenir la différenciation pédagogique
Adapter une consigne pour plusieurs niveaux de compétence est un travail exigeant, en particulier dans les classes hétérogènes du secondaire. L’IA peut générer des variantes de consignes, des exemples adaptés ou des aides graduées, à condition que l’enseignant précise bien ses objectifs et le niveau visé.
2.4 Renforcer la lisibilité des tâches complexes
Dans certaines disciplines, notamment technologiques ou professionnelles, des supports ou des reformulations doivent être régulièrement produits. L’IA peut fournir un brouillon de plan, reformuler une consigne longue ou expliciter les étapes d’une tâche.
Ces apports ne relèvent pas d’une évaluation automatisée, mais d’un accompagnement à la conception.
3. Pourquoi et comment rendre les évaluations résistantes aux IA génératives
La question essentielle n’est pas d’empêcher les élèves d’utiliser l’IA, mais de concevoir des évaluations que l’IA ne peut pas réaliser à leur place. On parle alors d’évaluations résistantes à l’IA. Elles ne sont ni plus difficiles, ni plus lourdes : elles sont plus exigeantes intellectuellement, plus ancrées dans le réel et plus formatrices.
Quatre dimensions essentielles sont à considérer lors de la création d’une évaluation.
3.1 L’authenticité des tâches
Une évaluation résistante s’appuie sur des documents réels, des productions d’élèves, des projets menés en classe, des situations vécues ou des données locales.
L’IA ne peut pas reproduire ce qu’elle ne connaît pas : une affiche prise en photographie dans un couloir, des résultats d’une expérience menée en classe, un travail collectif construit au fil des séances.
3.2 La complexité cognitive
Les tâches centrées sur la restitution ou sur des formulations génériques sont mécaniquement générables par IA. En revanche, les activités mobilisant l’interprétation, la justification, la comparaison, la prise de position ou l’analyse croisée de documents résistent davantage.
Ces tâches valorisent la pensée et rendent inutile la délégation.
3.3 La visibilité de la démarche
Une évaluation robuste ne s’attache pas uniquement au produit final, mais à la manière dont l’élève y parvient. Brouillons, étapes intermédiaires, choix justifiés, explications orales ou traces de progression sont autant d’éléments que l’IA ne peut pas produire.
Demander la démarche protège l’évaluation et favorise l’apprentissage.
3.4 L’étayage et la structuration du travail
Demander un plan commenté, un mini-oral explicatif, une justification des documents utilisés, une autoévaluation argumentée ou une confrontation entre différentes versions crée une évaluation vivante, progressive et non automatisable.
Ces pratiques, déjà reconnues pour leur efficacité pédagogique, deviennent essentielles dans un contexte d’IA générative.
Conclusion
L’évaluation au collège et au lycée se trouve aujourd’hui à un moment charnière. L’intelligence artificielle, loin de rendre impossible l’évaluation, en révèle les fragilités et oblige à repenser des pratiques trop centrées sur la note, trop fortement liées à la restitution et trop peu orientées vers la démarche.
Employée de manière raisonnée, l’IA peut soutenir les enseignants : clarifier les critères, enrichir les feedbacks, accompagner la différenciation, expliciter les attendus.
Mais elle ne remplace ni la relation pédagogique, ni le jugement professionnel, ni l’accompagnement des élèves.
Rendre les évaluations résistantes à l’IA ne signifie pas les durcir. Cela signifie les transformer pour qu’elles évaluent ce que l’IA ne peut pas faire : penser, choisir, interpréter, justifier, relier, s’engager.
En un mot : apprendre.

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