L’arrivée de chat-gpt et des autres IA amène certes un bouleversement dans mon métier de rédaction. Mais c’est surtout dans mon activité de formatrice en rédaction que le défi est le plus grand : comment convaincre des étudiants peu enclins à l’écriture à rédiger sans l’IA ? Et comment les accompagner à développer leurs compétences en rédaction pour utiliser avec pertinence l’IA ?
Aujourd’hui, je partage avec vous des apports théoriques pour comprendre comment chat-gpt et les autres IA peuvent mettre en danger le développement des compétences cognitives et affectives.
NB : Cet article prend appui sur mes travaux de recherche en psychologie. Pour plus de fluidité, je n’indique pas ici les références bibliographiques complètes. Vous pourrez les retrouver dans la bibliographie de ma thèse
Le fonctionnement cognitif en production écrite
La production de texte est une activité complexe demandant une activation et une régulation cognitive spécifique d’une très grande quantité d’informations.
Le problème majeur lors de la production de texte est le passage d’une représentation multidimensionnelle du référent du message à une transcription linéaire. Le scripteur doit adopter un point de vue unique nécessitant la sélection et l’agencement particuliers des informations (Fayol, 1997)
Trois processus cognitifs agissent en interactivité tout au long de la rédaction : la planification, la mise en texte et la révision. (Hayes, 1996 ; Kellogg, 1996 ; Piolat, Kellog, Farioli, 2001). Afin de satisfaire des buts toujours spécifiques d’un texte, ces trois processus activent, sélectionnent et organisent un très grand nombre d’éléments. Ces derniers sont constitués des connaissances que le scripteur a stockées en mémoire à long terme, mais aussi des informations provenant de l’environnement ou contexte de production.
La planification
La planification est un processus d’anticipation de ce qui va être mis en texte, processus qui porte tant sur le contenu que sur les éléments linguistiques. Trois sous-processus contribuent alors à la planification : la fixation des buts, la récupération des connaissances en mémoire à long terme et l’organisation des connaissances afin de satisfaire les objectifs du texte.
La mise en texte
Les processus de mises en texte permettent la transformation du plan établi par le processus de planification. Ils visent à le transformer en une structure linguistique linéaire (Alamargot & Chanquoy, 2001)
La mise en texte n’est pas qu’une affaire de transcription linguistique. Dans ce processus, des choix conceptuels s’effectuent. Processus de planification et processus de mise en texte ne sont pas hermétiques l’un à l’autre. Tout doit entrer en action dans une même direction.
Lors de la mise en texte, pour contrôler son activité, le scripteur va effectuer une comparaison entre ce qu’il voulait écrire et ce qu’il est concrètement en train de produire (Bereiter & Scardamalia, 1987). Il va ensuite repérer ce qui ne coïncide pas pour faire les ajustements nécessaires.
La révision
Selon Coen (2000), on peut distinguer deux traitements de révision.
- La révision on line : Cette révision a lieu au cours de l’élaboration de la production écrite. Le rédacteur expert réfléchit en écrivant. Il effectue des arrêts plus ou moins brefs, déplace son regard sur ce qu’il a écrit précédemment, relit et opère des modifications qui consistent à barrer, ajouter, récrire ou changer de place.
- La révision off line : Elle peut suivre la rédaction ou être différée dans le temps. Elle nécessite une ou plusieurs relectures. Elle bénéficie d’un certain recul du rédacteur.
E résumé, non seulement, ces trois processus gèrent des informations spécifiques à une situation donnée, mais en plus, ils s’appuient sur des structures plus durables, c’est-à-dire sur des ensembles de connaissances construites sur la communication écrite.
Le développement des compétences en rédaction
La quantité des informations sur la langue et plus généralement sur la communication écrite à stocker en mémoire à long terme ainsi que la complexité de l’interaction des processus de planification, mise en texte et révision expliquent le développement long de cette activité cognitive. Ce développement se réalise après un apprentissage systématique sous la direction d’un enseignant et tout au long de la vie, en confrontation à des situations de communications variées qui viennent alimenter les connaissances stockées en mémoire à long terme,
Et chat-gpt dans tout ça ?
À partir d’une demande de l’utilisateur (appelé prompt), l’IA va rédiger un contenu. Elle va ainsi venir se substituer au processus de mise en texte. Or, pour que la mise en texte soit pertinente, il est indispensable que l’utilisateur rédige un prompt spécifique.
Cette phase de rédaction du prompt peut en quelque sorte s’assimiler au processus de planification. Or, si l’utilisateur n’a pas développé des compétences pointues pour planifier son texte, il ne pourra donc pas formuler une demande pertinente à l’IA.
Une fois le texte produit par l’IA, l’utilisateur doit s’assurer qu’ils correspondent à ses objectifs et à la situation de communication. Il doit donc réaliser un processus de révision à la fois du fond et de la forme. Pour que ce processus soit efficace, il lui faut avoir construit un grand nombre de connaissances sur les situations d’écriture.
Ainsi, si l’IA peut s’avérer un outil intéressant pour gagner du temps dans certains travaux de rédaction, il convient au préalable de s’assurer que les étudiants sont en mesure de mobiliser de manière efficace les différences processus cognitifs.
Au-delà de la mobilisation de ces processus cognitifs, l'écriture engage l'affectivité des individus.
Le rapport psychoaffectif à l’écriture
Pour Strauss-Raffy (2002) l’écriture est une activité qui engage le sujet. Lorsque le sujet est en train d’écrire, il est aussi en train de modifier sa pensée. Au fil de la plume, la pensée peut évoluer dans un sens non prévu par le sujet. Ainsi, cette activité peut être source d’angoisse puisque le sujet prend un risque de déstabilisation et de fragilisation. Jeter l’encre, c’est se confronter à soi-même pour se découvrir et accepter d’être un sujet ayant une pensée autonome.
Ce qui se joue dans le passage à l’écriture, Strauss-Raffy le nomme « le saisissement de l’écriture ». Lorsque le sujet est en train d’écrire, il est saisi par l’environnement de l’écriture (la consigne ou les objectifs), la personne à qui il écrit, l’ensemble de ses idées et ses émotions.
Sur un temps d’écriture, il peut se sentir dépassé, voire envahi par ce travail à faire. Pour sortir de cet envahissement, il va entrer à proprement parler dans l’écriture. Il va devoir se ressaisir, s’approprier tous ces éléments, les transformer, voire les sublimer pour les mettre à distance de lui et trouver un moyen de les communiquer.
Écrire, c’est être attentif à son environnement et à soi pour transformer et élaborer de nouvelles images communicables à un destinataire absent.
Écrire est donc un moyen de matérialiser des éléments de Soi, de construire sa pensée et de se positionner en tant que sujet autonome ; autant d’éléments qui risquent d’être mis en sourdine par utilisation systématique des IA.
Vous souhaitez aller plus loin ?
Je propose régulièrement des webinaires et des formations sur ces questions. Pour recevoir les informations, abonnez-vous à ma newsletter.
0 commentaires