Ce week-end, une collègue m’a interpellée sur une tendance en pleine expansion : l’apparition de badges signalant l’usage de l’intelligence artificielle (IA) dans une production.
Sur le papier, ces badges visent la transparence. Mais derrière ces étiquettes, se joue bien plus qu’une simple information : on touche à des enjeux éthiques, écologiques et pédagogiques majeurs.
1. Transparence ou hiérarchisation morale des usages ?
Parmi les badges les plus courants :
- « Non recours à l’IA »
- « Généré par l’IA »
- « Aidé par l’IA »
Mais ce classement est-il neutre ? Ou est-il en train de dessiner, discrètement, une hiérarchie morale des usages ?
- Est-ce plus acceptable d’être seulement « aidé » que « généré » ?
- Est-ce plus éthique de ne pas utiliser d’IA du tout ?
- Et surtout… de quelle IA parle-t-on ?
Quelques exemples pour illustrer :
- Le Chat, dont le fondateur s’émerveille (dans une interview du 16 janvier 2025 sur C à vous) que des jeunes y confient leurs doutes amoureux.
- ChatGPT-4, dont une simple conversation peut émettre jusqu’à 272 g de CO₂. À raison de dix échanges par jour, cela représente près d’une tonne de CO₂ par an — soit la moitié du budget carbone annuel individuel recommandé par l’Accord de Paris.
- DeepSeek, une IA puissante mais soumise à une censure stricte sur des sujets politiques sensibles comme Tian’anmen ou la vie privée des dirigeants chinois.
Face à ces réalités, peut-on vraiment dire que tous les usages se valent ?
Peut-on résumer une pratique complexe par une simple étiquette ?
2. Générer, adapter, synthétiser : pas si équivalent
Un deuxième type de badges propose de spécifier le type d’action effectuée avec l’IA :
- « Généré avec l’IA »
- « Adapté avec l’IA »
- « Synthétisé avec l’IA »
Mais là encore, tous les outils d’IA générative ne se valent pas :
- La version gratuite de ChatGPT ne cite généralement pas ses sources. Elle s’appuie sur un vaste corpus issu d’Internet, sans traçabilité claire.
- Perplexity AI, à l’inverse, cite systématiquement ses références, offrant à l’utilisateur la possibilité de vérifier, sourcer et creuser.
- Le Chat de Mistral AI a signé un partenariat inédit avec l’AFP en janvier 2025. Objectif : s’appuyer sur des contenus journalistiques vérifiés pour renforcer la qualité, la factualité et la rigueur des réponses générées.
Ces nuances sont fondamentales. Elles questionnent directement :
- La fiabilité de l’information
- Le niveau d’exigence documentaire
- Et la valeur pédagogique du recours à ces outils
3. Une étiquette ne remplace pas la pensée critique
Ces badges ont le mérite de vouloir clarifier les usages.
Mais ils ne doivent pas servir à évacuer les vraies questions.
✅ Derrière chaque usage d’IA, il y a :
- Des choix techniques
- Des impacts environnementaux
- Des enjeux éthiques (biais, sources, censure)
- Et surtout, un besoin de posture critique de l’utilisateur
La tentation est grande de réduire la complexité à un affichage.
Mais afficher « généré par l’IA », ce n’est pas encore comprendre ce que l’IA transforme dans l’apprentissage, l’écriture, la recherche ou l’interprétation.
4. Former à l’IA : bien plus qu’une question d’outil
C’est là tout l’enjeu pédagogique :
- Former les élèves, les étudiants et les professionnels à penser l’IA,
- Pas seulement à la manipuler.
Cela suppose :
- Une acculturation aux outils d’IA générative,
- Une éducation à la traçabilité de l’information,
- Une sensibilisation aux biais algorithmiques,
- Une compréhension des impacts sociaux, cognitifs et écologiques.
En somme, il s’agit de développer une culture numérique critique et responsable, pas de s’en remettre à des pictogrammes.
Conclusion : les badges ne sont qu’un point de départ
Oui, ces badges peuvent jouer un rôle.
Ils peuvent ouvrir la discussion, nommer les pratiques, amorcer une prise de conscience.
Mais ils ne doivent pas nous dispenser de penser.
L’éducation à l’IA, aujourd’hui, ne se joue ni dans le silence, ni dans l’automatisation, ni dans les apparences.
Elle se joue dans l’analyse, le débat, et la construction collective de pratiques éclairées.
Et si, plutôt que de coller des étiquettes, on prenait le temps d’enseigner ce qu’il y a derrière ?
Pour aller plus loin, découvrez aussi mon article : Pourquoi co-construire une charte d’usage de l’IA avec ses élèves ?
0 commentaires