Souveraineté de l’intelligence artificielle : un enjeu stratégique pour l’éducation

« Sommes-nous encore maîtres de nos choix pédagogiques à l’ère de l’intelligence artificielle ? »
Alors que les technologies d’IA se déploient dans tous les secteurs, la question de la souveraineté devient incontournable. Qui contrôle les algorithmes ? Qui décide des usages ? Qui protège les données ?

Dans ce contexte, l’éducation est un terrain particulièrement sensible. Elle forme les citoyens de demain, transmet des valeurs, et gère des données personnelles massives. Cet article propose un éclairage sur la notion de souveraineté de l’IA, en mettant en lumière ses implications concrètes pour le monde éducatif.

Qu’est-ce que la souveraineté de l’IA ?

La souveraineté de l’intelligence artificielle désigne la capacité d’un État, d’une organisation ou d’un secteur à contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur de l’IA : développement, déploiement, données, infrastructures, réglementation.

Concrètement, cela suppose :

  • Le contrôle des technologies utilisées (modèles, interfaces, algorithmes).
  • La maîtrise des infrastructures (cloud souverain, puissance de calcul, hébergement local).
  • La gouvernance des données : leur traitement, leur stockage, leur usage.
  • La capacité à élaborer des politiques publiques et des cadres juridiques alignés sur ses priorités et valeurs.

En résumé : il s’agit de préserver l’autonomie de décision face à des technologies souvent conçues hors de tout ancrage local, par des acteurs privés dominants.

La notion de souveraineté dans le domaine de l’intelligence artificielle est multidimensionnelle : elle couvre des aspects économiques, culturels, linguistiques et technologiques. Elle est perçue comme indispensable pour qu’un pays puisse rester autonome face à une technologie à fort pouvoir de transformation.

Pourquoi cette souveraineté est-elle cruciale ?

1. Dépendance et déclassement

  • Ne pas maîtriser les technologies d’IA entraîne une dépendance unilatérale vis-à-vis d’autres pays.
  • Pour l’Europe, cela entraîne un déséquilibre de la balance commerciale et une perte de compétitivité.
  • L’incapacité à produire ses propres IA limite la capacité à faire des choix alignés sur ses valeurs.

Il est quasi impossible d’empêcher la diffusion de l’IA dans la société. La question est donc : voulons-nous la subir ou la façonner ?

2. Influence culturelle et linguistique

  • Les modèles d’IA sont empreints de leur corpus d’entraînement. ChatGPT, par exemple, repose à 93 % sur des données en anglais.
  • Cela induit une hiérarchisation implicite des références culturelles (ex : les frères Wright plutôt que Clément Ader).
  • L’utilisation massive d’IA étrangères expose à une submersion culturelle et linguistique, notamment en contexte éducatif.

L’accès à l’information ne peut être laissé aux mains d’intérêts commerciaux étrangers.

3. Maîtrise technologique et des données

  • Les grandes plateformes (américaines, chinoises) détiennent les capacités de calcul, les algorithmes et les infrastructures critiques.
  • L’Europe accuse un retard en termes de centres de données, de cloud souverain et de semi-conducteurs.
  • Pour les secteurs sensibles (santé, défense, éducation), il est crucial de disposer d’infrastructures nationales ou européennes.

La qualité, la provenance et la fiabilité des données sont fondamentales pour concevoir des IA utiles, justes et fiables.

4. Enjeux sociétaux et éthiques

  • L’utilisation massive des données personnelles soulève des questions de confidentialité, de consentement et de protection.
  • Il est très difficile de garantir la sécurité des données quand celles-ci sont archivées à l’étranger par des acteurs privés.
  • L’IA peut affaiblir notre capacité à penser par nous-mêmes, à nous relier aux autres, à développer un jugement critique.

La souveraineté est donc aussi une condition de la démocratie cognitive et culturelle.

L’éducation, un secteur sous haute tension

1. L’école, lieu de transmission… et de vulnérabilité

L’éducation transmet des savoirs, mais aussi des valeurs, des représentations du monde, des rapports au vrai et au juste. Introduire des IA non souveraines dans ce champ, c’est :

  • Risquer un effacement du rôle médiateur de l’enseignant.
  • Imposer des modèles implicites de pensée, de performance, d’évaluation.
  • Exposer les élèves à des « boîtes noires » qui modèlent l’apprentissage sans transparence.

2. Un potentiel de transformation… à condition de garder la main

L’IA peut enrichir l’enseignement si elle est :

  • Pensée comme outil d’émancipation et de personnalisation.
  • Encadrée par des valeurs pédagogiques explicites.
  • Intégrée dans une vision humaniste, critique, collective.

Sans souveraineté, le risque est grand que l’école devienne un terrain d’expérimentation technologique dépolitisé.

3. Pressions géopolitiques et stratégiques

Certains pays considèrent l’éducation comme un levier d’influence. Développer une IA éducative souveraine, c’est :

  • Assurer la cohérence entre contenus, valeurs et données.
  • Protéger les données scolaires comme biens communs sensibles.
  • Éviter une dépendance cognitive à des acteurs étrangers.

Quelles réponses concrètes ?

1. Développer un écosystème national et européen

  • Multiplier les centres de données sur le territoire européen.
  • Soutenir une filière de semi-conducteurs adaptés aux systèmes d’IA.
  • Financer des outils d’IA ouverts, éthiques, multilingues et adaptables.

2. Transparence et mutualisation des données

  • Rendre publics les corpus d’entraînement.
  • Créer un registre de contenus pour vérifier les droits d’usage.
  • Mettre en lien collectivités, détenteurs de données et développeurs via une plateforme partagée.

3. Formation et culture citoyenne

  • Expliquer le fonctionnement des algorithmes et leurs biais.
  • Intégrer l’IA dans les formations à travers une approche interdisciplinaire.
  • Organiser des cafés IA pour débattre, informer, sensibiliser tous les publics.

4. Gouvernance et cadre réglementaire

  • S’appuyer sur l’AI Act européen qui classe les IA selon leur niveau de risque.
  • Instaurer une doctrine d’usage de l’IA dans le service public (chartes, guides internes).
  • Promouvoir une gouvernance mondiale de l’IA (type OMC), avec la France en position d’impulsion.

Conclusion : l’autonomie pédagogique passe par la souveraineté technologique

Dans un monde où l’intelligence artificielle façonne les décisions, les parcours et les apprentissages, la souveraineté ne peut plus être une option.

Il ne s’agit pas de rejeter l’IA, mais de décider collectivement comment l’adopter, dans quelles conditions, et au service de quelle vision éducative.

Parce que demain, éduquer sans souveraineté pourrait bien signifier enseigner sous influence.

Anne-Lise

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1 Commentaire

  1. Pour le plaisir de partager, je propose un lien qui pourrait vous être utile. Vous pouvez le supprimer de mon commentaire avec les phrases qui y sont rattachées, voici une (LA..) plateforme internationale d’individus qui conçoivent et réalisent des modèles d’intelligence artificielle.
    https://huggingface.co/

    _

    Encore un texte qui percute. Vous partagez un regard périphérique et une conscience visionnaire.
    J’adore.

    Réponse

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Formatrice et chercheure en rédaction, éducation et intelligence artificielle.

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